VII

 

Il était de retour chez lui. Pas âme qui vive.

Une vague de panique le submergea un court instant. Non ! hurla-t-il en lui-même.

Il appela : « Margo ! »

Les pièces étaient toutes désertes ; il erra en tentant de maîtriser ses nerfs, puis se rendit compte que la porte de derrière était ouverte. Il sortit donc et balaya les lieux du regard. Personne. Ni Ragle, ni Margo, ni Sammy.

S’engageant dans l’allée, il passa à côté de la corde à linge et de la treille couverte de rosiers grimpants, parvint à la cabane de jeu de Sammy, bâtie contre la palissade.

Dès qu’il eut frappé à la porte, un large judas s’ouvrit, dévoilant l’œil de son fils. « Oh ! salut, p’pa », s’écria Sammy en déverrouillant aussitôt la porte.

À l’intérieur se trouvaient Ragle et Margo, lui à la table, écouteurs sur les oreilles, elle à côté de lui, munie d’une imposante liasse de feuilles de papier. Tous deux avaient déjà abondamment écrit : chaque page était couverte de notes rédigées à la hâte.

« Que se passe-t-il ? » voulut savoir Vic.

Ce fut Margo qui répondit la première : « Nous sommes à l’écoute.

— Je m’en rends bien compte, rétorqua Vic, mais qu’essayez-vous de faire ? »

Le casque sur les oreilles, Ragle tourna la tête et, l’œil vif, déclara : « Nous les recevons.

— Qui ? De qui parlez-vous ?

— Ragle dit qu’il faudra peut-être plusieurs années pour le savoir », répondit Margo, le visage animé et le regard lumineux. Sammy, un peu hébété, comme en proie à une transe, restait figé sur place. Jamais encore Vic ne les avait vus tous les trois dans un tel état. « Mais nous avons trouvé un moyen de les entendre, poursuivit Margo, et nous avons déjà commencé à prendre note ; regarde. » Elle poussa la liasse de feuilles dans sa direction. « Tout ce qu’ils se disent, nous l’avons marqué ici.

— Des radio-amateurs ? comprit Vic.

— D’une part, acquiesça Ragle, mais aussi les communications entre les vaisseaux et leur terrain ; il doit y avoir un terrain tout près d’ici.

— Des vaisseaux ? répéta Vic. Tu veux dire des navires ? »

Ragle pointa le doigt en l’air.

Mon Dieu, songea Vic. Et il ressentit alors la même tension, la même excitation. Le même vent de folie.

« Quand ils nous survolent, expliqua Margo, nous les recevons très net et avec beaucoup de puissance, pendant environ une minute. Et puis nous les perdons. On peut les entendre parler ; pas simplement des signaux, mais des conversations. Ils plaisantent beaucoup.

— Ce sont de grands amateurs de plaisanteries, confirma Ragle. Ils n’arrêtent pas d’en sortir.

— Laissez-moi écouter », requit Vic.

Lorsqu’il se fut assis à la table, Ragle lui passa les écouteurs et les lui ajusta. « Tu veux que je cherche ? proposa-t-il. Je cherche et toi tu écoutes. Préviens-moi dès que tu as quelque chose de net, que je m’arrête. »

Vic n’eut pas à attendre. Il entendit en effet presque aussitôt quelqu’un donner des informations concernant un procédé industriel. Il écouta un instant avant de demander : « Dites-moi à quoi vous pensez. » La voix monotone qu’il percevait ne parvenait pas à endiguer son impatience. « Qu’est-ce que vous en dites ?

— Rien pour l’instant, répondit Ragle sans laisser fondre sa satisfaction. Mais tu ne vois pas ? Nous savons qu’ils sont là.

— On le savait déjà, répliqua Vic. Chaque fois qu’ils passaient au-dessus. »

Cette observation parut décontenancer sensiblement Ragle comme Margo – et également Sammy. Après un moment de silence, Margo lança un regard à son frère, qui avança : « C’est un concept difficile à expliquer. »

Au-dehors s’éleva une voix. « Ohé, où êtes-vous ? »

D’un geste de la main, Margo exigea le silence ; ils tendirent l’oreille.

Quelqu’un, dans le jardin, les cherchait. Vic perçut un bruit de pas dans l’allée, et la voix rejaillit, plus proche cette fois.

« Il y a quelqu’un ? »

Margo chuchota : « C’est Bill Black. »

Afin de s’en assurer, Sammy alla découvrir un judas. « Ouais, souffla-t-il, c’est M. Black. »

Vic écarta son fils et prit sa place. Debout au milieu de l’allée, Bill Black était indéniablement à leur recherche ; sur son visage se lisait une expression d’irritation mêlée d’étonnement. Manifestement, il venait de pénétrer dans la maison et l’avait trouvée déserte, les portes grandes ouvertes.

« J’aimerais bien savoir ce qu’il veut, maugréa Margo. Si nous ne faisions pas de bruit, peut-être va-t-il s’en aller. Sans doute voudrait-il que nous dînions ou sortions ensemble ce soir. »

Ils attendirent.

Bill Black sillonnait le jardin en tous sens, donnant de temps à autre un coup de pied dans l’herbe. « Ohé ! Où êtes-vous donc ? »

Silence.

En riant nerveusement, Margo ne put s’empêcher d’observer : « J’aurais belle mine s’il nous trouvait cachés ici comme des gosses ou je ne sais qui. Ce qu’il peut être drôle, à dresser le cou ainsi ! Il essaie de nous voir comme si on était cachés dans l’herbe haute. »

Au mur de la cabane était accrochée une arme-jouet que Vic avait offerte à son fils à l’occasion d’un Noël. L’objet pourvu d’ailettes et d’un canon annelé n’était autre, selon la présentation de la boîte qui l’avait contenu, qu’un désintégrateur de fusées automatique du XXIIIe siècle capable de détruire une montagne. Sammy avait passé plusieurs semaines à patrouiller dans les environs en faisant cliqueter son engin qui, une fois la venue du printemps, s’en était allé rejoindre le mur comme un trophée, afin d’intimider par sa seule présence tout visiteur.

Vic décrocha l’objet, déverrouilla la porte, l’ouvrit et sortit.

Bill Black lui tournait le dos. « Ohé ! Ohé ! Où êtes-vous ? »

Vic se tapit, pointa l’arme sur Black. « Vous êtes un homme mort ! »

Black virevolta. À la vue du pistolet, il pâlit et leva à moitié les bras avant d’apercevoir la cabane d’où l’épiaient Margo, Ragle et Sammy, et de se rendre compte que l’arme avec laquelle on le menaçait sentait le toc tant elle était brillante. Alors seulement il baissa les mains et éclata de rire.

Vic en fit autant.

« Qu’est-ce que vous fabriquiez ? » demanda la victime de la plaisanterie. À cet instant, Junie Black émergeait de la maison des Nielson ; elle descendit lentement les marches de l’escalier et rejoignit son époux. Aussi perplexes l’un que l’autre. Elle passa un bras autour de sa taille avant de lancer un « Bonjour ».

Là, Margo jaillit hors de la cabane. « Et vous, que faisiez-vous ? » D’une voix à faire se recroqueviller n’importe quelle femme. « Vous étiez à l’aise, comme chez vous ? »

Les Black la dévisagèrent.

« Oh ! allez-y, poursuivit Margo, faites comme chez vous.

— Calme-toi, voyons, la supplia Vic.

— Oui, ils sont entrés sans se gêner, répliqua sa femme. Dans chaque pièce, je suppose. Qu’en pensez-vous ? demanda-t-elle à Junie. Les lits sont faits correctement ? De la poussière aux rideaux ? Vous avez vu quelque chose qui vous a plu ? »

Ragle et Sammy quittèrent à leur tour la cabane pour se joindre au groupe. Bill et Junie faisaient à présent face à quatre personnes.

Ce fut Black qui finit par reprendre la parole. « Excusez-nous d’avoir pénétré chez vous. Nous voulions savoir si vous auriez aimé aller jouer au bowling avec nous ce soir. »

Vic ne put s’empêcher de plaindre un peu Junie qui arborait un sourire béat auprès de son mari. Il était évident qu’elle n’avait pas songé un seul instant qu’elle pouvait se montrer inconvenante à l’égard de quiconque. Il était également probable qu’elle n’avait pas même eu conscience de commettre une transgression. Vêtue d’un pull et d’un pantalon de coton bleu, un ruban noué dans les cheveux, elle était aussi jolie que gamine.

« Je m’excuse, se reprit Margo. Mais on ne doit pas entrer comme ça chez quelqu’un, vous le savez, Junie. »

Accusant le coup, Junie battit en retraite, balbutiant : « Je… »

« J’ai dit que je m’excusais, réitéra Black. Que voulez-vous donc, pour l’amour du Ciel ? » Il semblait tout aussi décontenancé.

Alors, pour conclure l’épisode, Vic s’avança et tous deux se serrèrent la main.

« Tu peux rester si tu veux, signala Vic à l’intention de Ragle en désignant la cabane. Nous, nous rentrons nous occuper du repas.

— Qu’avez-vous là-dedans ? s’enquit Black. Si cela ne me regarde pas, dites-le-moi. Mais en tout cas, vous paraissez tous bien graves. »

La réplique de Sammy fut pour le moins énergique : « Vous ne pouvez pas entrer.

— Pourquoi cela ? voulut savoir Junie.

— Vous ne faites pas partie des membres du club, rétorqua l’enfant.

— Est-ce que nous pouvons nous inscrire ? insista Junie.

— Non.

— Et pourquoi ?

— Parce que, trancha Sammy en lançant à son père un regard complice.

— C’est juste, appuya ce dernier. Je suis navré. »

Margo, Vic et les Black entrèrent dans la maison par-derrière. « Nous n’avons pas encore dîné, déclara Margo, crispée par sa colère.

— Mais nous n’avions pas l’intention d’aller au bowling maintenant, protesta Junie. Nous voulions seulement vous avertir avant que vous n’ayez prévu quelque chose pour la soirée. Et d’ailleurs, dites, si vous n’avez pas commencé le repas, pourquoi ne pas venir dîner avec nous ? Nous avons un gigot d’agneau, des petits pois surgelés en quantité et Bill a acheté deux pintes de crème glacée en rentrant. » Elle pressait Margo d’accepter. « Qu’en dites-vous ?

— Merci, fit Margo. Mais une autre fois, peut-être. »

Bill Black, distant, hautain, qui ne semblait pas s’être totalement apaisé, dit avec quelque froideur : « Vous savez que vous êtes toujours les bienvenus chez nous. » Et mena sa femme vers la porte. « Si cela vous dit d’aller faire un bowling avec nous, vous n’avez qu’à passer vers huit heures. Sinon… » Il haussa les épaules. « Oh ! eh bien, tant pis, cela ne fait rien.

— À bientôt, fit Junie en suivant son mari au-dehors. J’espère que vous viendrez. » Elle accompagna ses dernières paroles d’un large sourire ; la porte se referma.

« Quelle plaie », soupira Margo. Elle ouvrit le robinet d’eau chaude et remplit une bouilloire.

Vic observa : « On pourrait édifier toute une technique psychologique sur la façon dont les gens réagissent quand on les surprend, avant qu’ils aient eu le temps de réfléchir. »

Margo maintenant préparait le repas. « Je trouve la réaction de Bill Black très logique. Il a levé les mains et ne les a baissées que lorsqu’il a vu que c’était un jouet que tu tenais.

— Mais pourquoi fallait-il qu’il vienne se balader ici juste au mauvais moment, maugréa Vic.

— Il y en a toujours un des deux chez nous, expliqua sa femme. Tu sais bien comment ils sont.

— C’est vrai. »

 

 

Pendant ce temps, enfermé dans la cabane, Ragle Gumm, casque sur les oreilles, captait une puissante émission en prenant des notes de temps à autre. Au fil des ans, grâce à son concours, il avait appris de lui-même d’excellentes méthodes pour prendre des notes rapidement ; tandis qu’il écoutait attentivement, non seulement il inscrivait la trame de ce qu’il entendait, mais il adjoignait également idées et commentaires personnels.

Son stylo à bille, celui que lui avait offert Bill Black, volait littéralement.

Sammy l’observait. « Tu écris drôlement vite, oncle Ragle. Tu arrives à relire quand tu as fini ?

— Oui. »

L’émission provenait sans aucun doute de l’aire d’atterrissage proche ; Ragle était déjà capable de reconnaître la voix de l’opérateur. Ce qu’il souhaitait découvrir, c’était la nature du trafic de départ et d’arrivée. Où allaient-ils ? Ils survolaient les lieux de façon terrifiante. À quelle vitesse ? Pourquoi personne en ville n’avait-il connaissance de ces vols ? S’agissait-il d’une installation militaire secrète, d’engins expérimentaux d’un type nouveau inconnus du public ? De missiles de reconnaissance… de systèmes de détection… ?

« Je parie, dit Sammy, que tu as aidé à briser le code des Japonais pendant la dernière guerre. »

À ces mots d’enfant, Ragle céda une fois de plus à une brutale et totale sensation de futilité. Il était là, bouclé dans une cabane de gosse, des écouteurs sur les oreilles, en train d’écouter pendant des heures un poste à galène fabriqué par un gosse… en train d’écouter des radioamateurs et des instructions de vol comme si lui-même n’était qu’un écolier. « Je dois être timbré », murmura-t-il en son for intérieur. Je suis censé avoir fait la guerre, j’ai quarante-six ans et je suis censé être adulte. Oui, et je passe mes journées à rester assis en répondant à des questionnaires qui me permettent tout juste de gagner ma vie, les questionnaires d’un concours de journal, Où Sera Le Petit Homme Vert La Prochaine Fois ? Alors que les autres adultes ont leur travail, leur femme et leur maison.

Je suis retardé, je suis fou. J’ai des hallucinations. Oui, je suis un malade mental. Infantile et fou. Qu’est-ce que je fais assis ici ? Je rêvasse, pour ne pas dire autre chose. Je vois des fusées qui filent au-dessus de nous, des armées qui conspirent. Je fais de la paranoïa.

Une psychose à tendance paranoïaque. Voici que je m’imagine être le point convergent d’un vaste effort qui implique des millions d’hommes et de femmes, des milliards de dollars et un travail incommensurable… Comme si un univers tournait autour de moi, dont chaque molécule tiendrait compte de moi. Ragle Gumm, l’être qui irradie son importance… jusqu’aux étoiles. Ragle Gumm, l’objet de tout le processus cosmique, de sa naissance à l’entropie finale. Toute matière et tout esprit destinés à orbiter autour de ma personne.

« Oncle Ragle, l’interrompit Sammy, tu penses que tu pourrais aussi briser leur code à eux, comme pour les Japonais ?

— Il n’y a pas de code, répondit-il en se ressaisissant. Ils parlent comme n’importe qui. C’est quelqu’un assis dans une tour de contrôle qui surveille l’atterrissage des avions militaires. » Il se tourna vers l’enfant dont les yeux le fixaient intensément. « Un gars qui a entre trente et quarante ans, qui joue au billard une fois par semaine et qui aime bien regarder la télé, comme nous.

— Un des ennemis », corrigea Sammy.

Ragle rétorqua sèchement : « Oublie cette histoire. Qu’est-ce qui te fait dire ça ? C’est toi qui as tout inventé. » Mais il comprenait bien qu’il ne pouvait s’en prendre qu’à lui-même.

Il se remit à consacrer son attention à la voix qui se déversait dans ses écouteurs. « … parfait, LF 34 88. Je l’ai en corrigé. Tu peux y aller. Oui, tu devrais pratiquement être au-dessus. »

Une secousse ébranla la cabane.

« En voilà un qui passe ! » s’exclama Sammy.

La voix poursuivit : « … entièrement clear. Non, c’est bon. Tu es en train de le survoler maintenant. »

Le, releva Ragle.

« … en bas, juste en dessous, reprit la voix. Oui, tu es en train de voir Ragle Gumm lui-même. Okay, on t’a normalement. Tu peux repartir. »

Et les vibrations s’estompèrent.

« Il est parti, dit Sammy. Il a peut-être atterri. »

Ragle se leva et posa le casque. « Prends un peu ma place, proposa-t-il à Sammy.

— Où tu vas ?

— Faire un tour. » Déverrouillant la porte, Ragle sortit s’offrir à l’air vif du crépuscule.

De la lumière dans la cuisine… sa sœur et son beau-frère préparaient le repas.

Je m’en vais, décida-t-il. Je pars d’ici. J’en avais déjà l’intention avant, mais maintenant je ne puis plus attendre.

Alors, contournant avec précaution la maison par l’allée, il entra par-devant et parvint à sa chambre sans éveiller l’attention. Là, il se mit en devoir de rassembler tout l’argent qu’il put trouver dans les poches de ses vêtements, dans des enveloppes closes, jusqu’à la menue monnaie qui dormait au fond d’un pot. Puis il endossa un manteau, sortit par la porte de devant et s’éloigna d’un pas rapide.

Un pâté de maisons plus loin, voyant approcher un taxi, il fit signe et le véhicule s’arrêta.

« Conduisez-moi à la station Greyhound.

— Oui, monsieur Gumm, répondit le chauffeur.

— Vous me reconnaissez ? » Voilà que se manifestait une fois de plus une projection de sa paranoïa et de son infantilisme : l’ego infini. Tout le monde le connaissait, tout le monde songeait à lui.

« Pour sûr, fit le chauffeur en démarrant. Vous êtes le gagnant de concours dont tout le monde parle. J’ai vu votre photo dans le journal et je me suis dit : « Tiens, ce gars-là habite juste en ville. « Peut-être qu’un jour je le prendrai dans mon taxi. »

Rien que de très légitime, se dit Ragle. Un bizarre embrouillamini entre la réalité et sa folie.

Ma notoriété effective, plus celle que m’octroient mes phantasmes.

Quand les chauffeurs de taxi me reconnaissent, ce n’est sûrement pas une création de mon esprit. Mais quand le ciel s’ouvre et que Dieu m’appelle par mon nom… c’est que la psychose a pris le dessus.

Il lui serait difficile de toujours établir la distinction.

Le taxi glissait dans les rues sombres devant les habitations et les magasins. Une fois parvenu dans le centre ville où régnaient les bureaux, il s’arrêta devant un édifice à cinq étages, au bord du trottoir.

« Vous y voici, monsieur Gumm », annonça le chauffeur en descendant pour ouvrir la porte à son passager.

Ragle sortit, mais tandis qu’il plongeait la main dans sa poche intérieure pour prendre son portefeuille, il jeta un coup d’œil : à la lumière des réverbères, le bâtiment devant lequel on l’avait déposé lui était familier. Bien que la nuit fût tombée, il comprit qu’il se trouvait devant les locaux de La Gazette.

« C’est à la station Greyhound que je veux aller, déclara-t-il en reprenant place dans le taxi.

— Comment ? toussa le chauffeur éberlué. Est-ce ce que vous m’aviez dit ? Que je sois pendu – bien sûr que oui. » Il bondit à son volant et démarra.

« Oui, je m’en souviens maintenant, reprit-il. Mais nous avons commencé à parler de votre concours, et je me suis mis à penser au journal. »

Il tourna légèrement la tête, dévoilant son visage plissé d’un large sourire. « J’ai tellement fait la liaison, dans ma tête, entre vous et La Gazette – quel idiot je fais !

— Ce n’est rien », assura Ragle.

Le trajet se poursuivait ; il finit par ne plus reconnaître les rues.

Il n’avait aucune idée de l’endroit où ils se trouvaient ; sur la droite s’élevaient les spectres nocturnes d’usines closes que longeait une voie ferrée. À plusieurs reprises le taxi tressauta violemment en franchissant des rails. Ragle distinguait des aires désertes… une zone industrielle qui ne laissait paraître nulle lumière.

Tiens, se dit-il, que dirait le chauffeur si je lui demandais de quitter la ville ?

Il se pencha en avant et tapota l’homme sur l’épaule. « Dites, fit-il.

— Oui, monsieur Gumm ?

— Et si vous sortiez de la ville ? Oublions le bus.

— Je suis désolé, monsieur, répondit le chauffeur. Je n’ai pas le droit d’emprunter les routes extérieures, le règlement l’interdit. Nous circulons en ville et nous n’avons pas le droit de faire concurrence aux lignes d’autocars ; il y a un décret à ce sujet.

— Cela vous permettrait de vous faire quelques dollars en plus. Quarante-cinq miles avec votre compteur, je suis sûr que vous l’avez déjà fait, décret ou pas décret.

— Ah ! non, je ne l’ai jamais fait, s’indigna le chauffeur. Certains collègues peut-être, mais pas moi. Je ne tiens pas à ce qu’on me retire ma licence. Si une patrouille pince un taxi urbain sur route, elle le harponne tout de suite, et si c’est une course payante, toc, la licence du chauffeur y passe. Une licence à cinquante dollars qui est aussi son gagne-pain. »

Veulent-ils m’empêcher de quitter la ville ? se demanda Ragle. Est-ce une machination ?

Mes phantasmes qui reprennent.

Ou bien est-ce réel ?

Comment le savoir ? Sur quelles preuves s’appuyer ?

Au milieu d’un désert sans limites trônait un nimbe de néon bleuté. Le taxi s’en approcha et s’arrêta sur le côté. « Nous y voilà, s’exclama le chauffeur. Voici la station. »

Ouvrant la porte, Ragle descendit. L’enseigne proclamait AUTOCARS NONPAREIL[8], et non Greyhound.

« Hé ! s’écria Ragle, secoué. J’avais dit Greyhound.

— C’est un Greyhound, dit le chauffeur de taxi. C’est la même chose, c’est la seule ligne de cars ; il n’y a pas de Greyhound ici. Pour une ville de cette importance, l’État n’accrédite qu’une seule ligne. Nonpareil est arrivé ici il y a plusieurs années, avant Greyhound. Greyhound a essayé de les racheter, mais ils ont refusé. Ensuite Greyhound a voulu…

— D’accord », céda Ragle. Il paya en ajoutant un pourboire et se dirigea vers le bâtiment carré en brique, l’unique construction à des miles à la ronde. Des herbes folles en frottaient les flancs, souillées de tessons de bouteilles et de papiers sales. Un coin désolé, se dit Ragle, à la lisière de la ville. Il distinguait au loin le panonceau d’une station-service, et les lumières des rues au-delà. Rien d’autre. L’air nocturne le zébra d’un frisson ; il ouvrit la porte de bois et pénétra dans la salle d’attente.

Un tourbillon de bruits divers, de sons déformés et d’air malsain roula à sa rencontre ; la salle d’attente était bourrée de gens qui lui firent face. Les bancs étaient déjà occupés par des marins ronflant et des femmes enceintes au regard déprimé et las, des vieux en pardessus, des représentants avec leur mallette à échantillons, des gosses attifés se tortillant d’impatience et d’appréhension. Une longue queue le séparait du guichet, figée comme il pouvait s’en rendre compte sans faire un pas de plus.

Il referma la porte derrière lui et alla se joindre à la queue. Personne ne lui accorda la moindre attention.

Cette fois-ci, se dit-il, je voudrais bien que ma psychose soit réelle, que tout ici tourne autour de moi pour que cela me permette au moins de passer directement au guichet.

Quelle est la fréquence de passage des autocars de la compagnie Nonpareil ? s’interrogea-t-il.

Il alluma une cigarette et essaya de se mettre à l’aise en s’adossant au mur – une solution peu satisfaisante au problème de la fatigue. Combien de temps allait-il rester bloqué là ?

Une demi-heure plus tard, il n’avait progressé que d’un pouce ou deux. Et personne n’avait encore passé le guichet. Il dressa le cou dans l’espoir d’apercevoir l’employé derrière sa vitre, mais ce fut en vain. En tête se tenait une imposante dame vêtue d’un manteau noir dont il ne voyait que le dos ; elle devait être en train d’acheter son ticket et pourtant elle n’en finissait pas, la transaction s’éternisait. Derrière elle, un homme d’une quarantaine d’années, de maigre corpulence et vêtu d’un complet à veston croisé mordillait d’ennui son cure-dent. Derrière un jeune couple chuchotait, tout absorbé dans sa conversation. Et derrière enfin, la queue devenait si compacte et indistincte que Ragle ne pouvait en extraire que le dos de la personne qui le précédait.

Quarante-cinq minutes plus tard, il se trouvait toujours à la même place. Un cinglé peut-il perdre totalement l’esprit ? se demanda Ragle. Que faut-il subir pour obtenir un ticket des lignes Nonpareil ? Vais-je rester ici à jamais ?

La terreur le gagna peu à peu. Peut-être allait-il rester au bout de cette queue jusqu’à sa mort. Une réalité qui refusait de changer… le même homme devant lui, le même jeune soldat derrière, la même femme malheureuse au regard vide assise sur le banc, de côté.

Le jeune soldat qui le suivait fit un mouvement un peu trop ample et le bouscula. « Mille excuses, l’ami », bégaya-t-il.

Ragle marmonna qu’il n’y avait pas de mal.

Le soldat noua ses doigts et en fit craquer les jointures. Puis passant la langue sur ses lèvres, il s’adressa à Ragle : « Dites, l’ami, est-ce que je peux vous demander un service ? Pouvez-vous me garder la place ? » Et sans attendre la réponse, il se tourna vers la femme qui se tenait derrière lui. « Madame, il faut que j’aille voir si mon copain n’a pas de problèmes ; est-ce que je pourrai retrouver ma place en revenant ? »

La femme acquiesça d’un hochement de tête.

« Merci bien », fit le soldat, et il se fraya un chemin jusqu’au coin de la salle où se trouvait un autre soldat, les jambes écartées, les bras ballants, le visage sur les genoux. Son camarade s’accroupit auprès de lui, le secoua et se mit à lui parler avec précipitation. L’autre leva la tête, offrant au regard de Ragle ses yeux brumeux et sa bouche tordue d’un faible rictus : le spectacle de l’ivresse.

Pauvre gars, pensa Ragle. Une méchante cuite. Lui-même, lors de son service, avait plusieurs fois échoué dans un lugubre arrêt avec une gueule de bois en voulant rejoindre ses quartiers.

Le soldat courut reprendre sa place. Il se tripota nerveusement la lèvre et lança un regard à Ragle en disant : « Cette queue, elle ne bouge pas d’un pouce. Je crois que je poireaute ici depuis cinq heures de l’après-midi. » L’inquiétude avait tourmenté son jeune visage aux traits doux. « Il faut que je rentre à ma base, fit-il. Phil et moi devons être rentrés pour huit heures si nous ne voulons pas avoir d’ennuis. »

Ragle estima son âge à dix-huit ans, vingt peut-être. Blond, pas très costaud. Des deux, c’était manifestement lui qui devait se charger de résoudre les problèmes.

« Pas de chance, compatit Ragle. Votre base est loin d’ici ?

— C’est la base aérienne où passe cette route, répondit le soldat. Une base de missiles, en fait. Avant, c’était un terrain d’aviation. »

Mon Dieu, songea Ragle. Là où décollent et atterrissent ces engins. « Vous venez de faire la tournée des bars ici ? s’enquit-il d’un ton aussi cordial et familier que possible.

— Alors ça, non, pas dans ce trou, cracha le soldat d’un air de dégoût. Non, on revient de la Côte en voiture ; on avait une semaine de permission.

— En voiture ? reprit Ragle. Qu’est-ce que vous faites ici, dans ce cas ?

— C’est Phil qui conduit, répondit le jeune soldat, moi je ne peux pas ; et il est encore bourré. C’est juste une vieille tire râpée. On l’a bien esquintée. On ne peut pas attendre qu’il dessoûle. En plus, de toute façon, il faut un nouveau pneu. On l’a laissée au bord de la route avec un pneu à plat. Elle vaut seulement dans les cinquante dollars, pas plus, c’est une Dodge de 1936.

— Si vous aviez quelqu’un pour vous la conduire, avança Ragle, vous rentreriez avec ? » Il venait en effet de songer qu’il savait conduire, lui.

Le soldat le dévisagea, surpris. « Et le pneu ?

— Je m’en occuperai aussi. » Prenant l’autre par le bras, Ragle le mena à travers la salle auprès de son camarade affalé. « Il vaudrait peut-être mieux qu’il reste ici jusqu’à ce que la voiture soit prête à repartir », ajouta-t-il. Effectivement, le pauvre Phil ne semblait comprendre que très vaguement où il se trouvait, et ne paraissait pas capable de marcher loin ni correctement.

« Hé ! Phil, lui dit l’autre, ce gars va conduire la voiture. Passe-moi les clefs.

— C’est toi, Wade ? » grommela l’intéressé à demi conscient.

Wade s’accroupit, plongea la main dans les poches de son ami. « Voilà, fit-il lorsqu’il trouva les clefs et les tendit à Ragle. Écoute-moi, souffla-t-il ensuite à Phil. Toi, tu restes ici ; nous, on va à la voiture et quand elle marchera, on te prendra au passage. D’accord ? Tu as compris ? »

Phil hocha faiblement la tête.

« Allons-y », décida Wade. Ils poussèrent la porte et sortirent de la salle d’attente pour s’enfoncer dans l’obscurité glaciale de la rue. « J’espère bien, maugréa Wade, que cet imbécile ne va pas s’affoler et foutre le camp ; on ne le retrouverait jamais. »

La nuit avait tout noyé. Ragle distinguait à peine sous ses pieds le trottoir craquelé et désherbé.

« C’est pas la porte à côté, hein, quand on vient du centre ville, observa Wade. Ils mettent toujours leurs relais dans les bas quartiers si la ville est assez grande pour qu’il y en ait, et sinon ils les installent à perpète, comme ici. » Il marchait d’un pas vif, broyant les débris de toutes sortes, invisibles. « Bon sang, qu’est-ce qu’il peut faire nuit ! dit-il. Ils ont un lampadaire tous les deux kilomètres, ou quoi ? »

Un cri distant dans leur dos les fit s’arrêter. Ragle se retourna et aperçut, debout dans le nimbe bleuté de l’enseigne au néon des Lignes Nonpareil, l’autre soldat. Il avait quitté en vacillant la salle d’attente et voulait les rejoindre. Il tanguait à présent en lançant des appels, faisait quelques pas, s’arrêtait, posait à terre ses deux valises.

« Oh ! là ! là, soupira Wade. Il faut qu’on retourne, sinon il va se casser la figure et on ne le trouvera jamais. » Il commença à rebrousser chemin, et Ragle fut bien obligé de le suivre. « Sinon, il va passer la nuit dans le terrain vague. »

Lorsqu’ils eurent rejoint le soldat, celui-ci s’accrocha à Wade et s’arc-bouta contre lui en grondant : « Vous êtes partis, les gars, vous m’avez laissé.

— Tu dois rester ici, insista Wade. Reste ici avec les valises pendant qu’on va chercher la voiture.

— C’est moi qui dois conduire », persistait Phil.

Wade dut lui réexpliquer laborieusement la situation tandis que Ragle, faisant les cent pas, hésitait à en endurer davantage. Enfin, Wade souleva l’une des valises. « Allons-y, dit-il à Ragle. Prenez l’autre, sans quoi il va la perdre en route et on ne la reverra plus.

— Je crois que je me suis fait avoir », bougonna Phil.

Ils allèrent leur chemin en trébuchant maintes fois. Ragle perdit bientôt toute notion de temps et de lieu ; la lumière d’un réverbère enfla, les submergea progressivement d’or puis agonisa derrière eux, et la suivante entama le même processus. Ils dépassèrent le terrain vague qui céda la place à d’inertes bâtiments industriels rectilignes. Ragle et ses deux compagnons évitaient avec précaution les innombrables rails piégeurs. Sur la droite, des quais de chargement arrivaient à hauteur d’épaule. Après s’être heurté à l’un d’eux, Phil vint se reposer contre le béton, la tête enfouie dans le creux du coude, et s’endormit comme une masse.

Un peu plus loin, au bord du trottoir, une automobile attira l’attention de Ragle.

« Est-ce cela ? »

Les deux soldats (Phil s’était repris) examinèrent la voiture. « Je crois que oui, fit Wade. Hé ! Phil, c’est pas la voiture, ça ?

— Que si », convint l’interpellé.

Un pneu à plat, le véhicule donnait de la bande. Plus de doute.

« Bon, maintenant, il faut qu’on trouve un pneu, dit Wade en jetant les valises à l’arrière. On met le cric, on ôte la roue et on regarde quel type de pneu il nous faut. »

Ils trouvèrent un cric dans la malle arrière. Entre-temps, Phil s’éloigna ; ils le virent debout non loin, la tête en arrière, les yeux rivés au ciel.

« Il va rester comme ça pendant une heure, déclara Wade tandis qu’ils soulevaient la voiture. Il y a une station-service Texaco plus loin ; on est passé devant juste avant de crever. » Adroit et expérimenté, il eut vite fait d’enlever la roue et de la faire rouler sur le trottoir. Ragle le suivit. « Où est Phil ? » demanda le soldat en balayant les environs du regard.

Phil était invisible.

« Qu’il aille se faire pendre, gronda Wade. Il a dû s’en aller. »

Ragle s’impatientait. « Allons à la station-service. Je n’ai pas toute la nuit et vous non plus.

— C’est un fait, approuva Wade. Oh ! ajouta-t-il non sans philosophie, peut-être qu’il reviendra s’allonger dans la voiture et qu’il y sera quand nous reviendrons. » Il se mit à faire rouler le pneu à vive allure.

Lorsqu’ils parvinrent à la station, tout était éteint et fermé. Le propriétaire était parti.

« Ce n’est pas possible ! maugréa Wade.

— Il y a peut-être une autre station-service pas trop loin, dit Ragle.

— Pas que je me souvienne, répondit Wade. C’est pas croyable. » Abasourdi, il semblait incapable de décider d’une quelconque action.

« Allez, venez, insista Ragle. On y va. »

Au bout d’un long moment de marche harassante, ils virent devant eux le carré blanc-rouge-bleu d’une station Standard.

« Amen, exhala Wade. Vous savez, lança-t-il gaiement à Ragle, je n’ai pas arrêté de prier comme un dingue depuis qu’on marche. Et la voilà ! » Il fit rouler sa roue de plus en plus vite et poussa un cri de triomphe. « Venez ! » hurla-t-il à Ragle largement distancé.

Dans la station-service, un homme jeune aux cheveux courts, vêtu de l’uniforme blanc amidonné de la compagnie, les regardait approcher sans manifester le moindre intérêt. « Hé, dites, fit Wade en ouvrant d’un grand geste la porte du bureau, vous voulez nous vendre un pneu ? On est assez pressés. »

L’homme posa la carte qu’il étudiait, reprit la cigarette qu’il avait déposée dans un cendrier et vint examiner le pneu de Wade.

« Pour quelle marque ? lui demanda-t-il.

— Une Dodge de trente-six. »

L’autre dirigea sur le pneu le faisceau d’une lampe-torche pour lire les caractéristiques, exhiba ensuite un fichier à charnière épaisse dont il égrena les feuillets imprimés. Ragle eut l’impression qu’il examinait chacun d’eux à quatre reprises en les tournant d’abord dans un sens puis dans un autre. Finalement, le pompiste referma le fichier, déclarant : « Je ne peux rien faire pour vous.

— Qu’est-ce que vous nous suggérez de faire, dans ce cas ? demanda Ragle d’un ton patient. Ce soldat et son camarade doivent rentrer à leur base s’ils ne veulent pas être déclarés déserteurs. »

L’homme se gratta le nez avec son crayon avant d’indiquer qu’il y avait, à cinq miles de là, un garage qui pourrait les satisfaire.

« Impossible d’aller jusque là-bas à pied, protesta Ragle.

— J’ai mon petit Ford garé là, fit le pompiste en désignant la direction du bout de son crayon. L’un de vous deux peut rester ici avec la roue, l’autre peut prendre le camion et aller là-bas ; c’est une station Seaside. Aux premiers feux. Ramenez le pneu et je vous le monterai ; ça vous coûtera soixante-quinze cents. » Il prit un jeu de clefs et le tendit à Ragle. « Et pendant que vous y êtes, il y a un restaurant qui reste ouvert toute la nuit sur la route. Ramenez-moi un croque-monsieur et un malt.

— À quoi ? demanda Ragle.

— Disons à l’ananas. » Il lui tendit un billet d’un dollar.

« Okay. »

Quelques minutes plus tard, Ragle s’engageait dans la rue au volant du camion, en marche arrière, puis prenait la direction que lui avait indiquée le pompiste. Il ne tarda pas à apercevoir les lumières de la grand-route.

Quelle situation ! songea-t-il.

Le Temps Désarticulé
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